Contexte
Prévoir de façon robuste les interactions dynamiques apparaissant en cas de séisme entre les ouvrages et les formations géologiques sous-jacentes, c’est accroître la sûreté des ouvrages tout en réduisant les coûts de construction ou de réhabilitation. Le premier effet qui doit être pris en compte est la modification du signal d’entrée due à l’interaction cinématique et en particulier au balancement et à la torsion induits, ce dernier étant potentiellement dangereux en raison de la faiblesse de bâtiments à l’égard de ce type de chargements. Le second effet dit interaction inertielle concerne l’augmentation de la période naturelle de la structure et les changements correspondants dans ses modes de vibration.
Pour les bâtiments simples ces effets réduisent souvent la vulnérabilité en raison d’un transfert des déformations au sol environnant apportant également un amortissement supplémentaire. Cependant, certains cas particuliers sont à éviter, y compris les failles au niveau de la fondation. Par contre, pour les structures de grande taille telles que les centrales électriques et/ou nucleaires entre autres, l’interaction sol-structure peut devenir importante. Celle-ci peut être prise en compte via une analyse détaillée à l’aide de modèles numériques. Ces techniques se sont avérées très fiables par rapport à des expériences sur le terrain effectuées dans la zone à forte activité sismique.
Lors d’un tremblement de terre, les ondes sismiques se propageant dans le sol mettent en mouvement les fondations des ouvrages en les secouant principalement horizontalement. Accéléré à sa base, chaque bâtiment est soumis à des forces d’inertie auxquelles sa structure doit résister. Pour maintenir son équilibre, l’ouvrage exerce sur le sol environnant des efforts importants. Si ce sol est très résistant, le mouvement initial de l’appui n’est pas modifié. Il n’y a pas d’interaction et pour assurer la tenue de l’ouvrage, le concepteur peut restreindre son analyse à la seule structure ; au prix toutefois, pour cette dernière, d’efforts internes et de demande de résistance parfois importants. Si par contre le sol est de résistance plus faible, le support va se déformer et le mouvement de la fondation s’en trouve modifié, tout comme parfois le mouvement des fondations voisines. Nous avons affaire à un phénomène d’interaction sol-structure et le concepteur doit alors inclure le sol et parfois les ouvrages environnants dans son analyse. S’il doit faire face à des difficultés supplémentaires, liées non seulement à la propagation des ondes sismiques dans le sol mais aussi à la connaissance imprécise qu’il a de l’environnement géologique, la présence de ces interactions conduit souvent à une réduction des efforts internes à la structure par leur transfert au sol de fondation ; à condition néanmoins, que son voisin n’amplifie pas ses propres déplacements. Toutefois, ce transfert d’efforts peut également mettre en péril la tenue du sol environnant, soit par dépassement de sa capacité portante, soit par réduction graduelle de cette capacité par exemple par liquéfaction du sol. Enfin, il convient de remarquer que ce transfert d’effort conduit généralement à des déplacements plus important des ouvrages, générant des sollicitations accrues pour les éléments de liaison ou les différents réseaux d’eau, de gaz ou d’électricité.
Les principales conséquences de l’interaction sol-structure
La principale conséquence de l’ISS est de briser le schéma séquentiel où est d’abord défini le mouvement sismique pour ensuite dimensionner l’ouvrage. Cette rupture est de deux ordres classiquement dénommés : interaction cinématique et interaction inertielle.
L’interaction cinématique traduit l’incompatibilité entre le champ d’onde incident et les mouvements possibles de la fondation. En effet, la fondation est souvent plus rigide que le sol environnant et ne peut donc se déplacer, en première approximation, que sous forme de translations et de rotations. Ne pouvant accommoder qu’une partie des déplacements induits par les ondes sismiques incidentes, une partie des ondes est réfléchie, occasionnant des efforts significatifs sur la fondation, mais réduisant l’énergie pénétrant dans la structure. Cette interaction cinématique est également bénéfique pour les ouvrages ayant des fondations profondes car les ondes sismiques étant amplifiées au toit des formations géologiques, la recherche d’un point d’appui plus profond pour l’ouvrage réduit le chargement sismique. Afin de caractériser précisément cet effet complexe car dépendant de la nature du sous-sol et de la géométrie de la fondation, il est d’usage de s’intéresser à la réponse dynamique de la fondation en l’absence du bâtiment, ce qui, dans l’hypothèse d’une fondation rigide, revient à trouver les déplacements et les rotations de cette dernière. Si un balancement important est plutôt bénéfique pour l’ouvrage lui-même car il permet de réduire les efforts de flexion dans la structure, il peut être fortement dommageable pour le sol de fondation qui peut rompre et occasionner un basculement d’ensemble de l’ouvrage (cf. Figure 1). La torsion est, par contre, beaucoup plus dangereuse pour la superstructure et des propriétés de symétrie de la fondation permettent de réduire ces effets néfastes.
En résumé, l’interaction cinématique induit un filtrage parfois significatif du mouvement sismique lors de son transfert au bâtiment mais occasionne des rotations d’ensemble de la fondation dont les effets sur l’ouvrage doivent être étudiés. La réponse de la fondation sans superstructure au mouvement sismique incident fournit au concepteur les efforts d’inertie nécessaires au dimensionnement de l’ouvrage. Enfin, dans le cas de fondations superficielles et d’ondes à incidence verticale, il n’y a pas d’interaction cinématique et le mouvement de la fondation sans superstructure est égal au mouvement du sol sans ouvrage.
L’interaction inertielle traduit, indépendamment de la modification du chargement décrite précédemment, le couplage que l’ouvrage entretient avec le sol environnant. Deux éléments sont ici essentiels : la modification des résonances de la structure par rapport à son comportement sur base fixe et la dissipation d’énergie dans le sol.
Ainsi, la période fondamentale du système sol-structure est toujours supérieure à celle de la structure sur base fixe car en prenant en compte le sol on ajoute de la flexibilité et de la masse. L’ampleur de cette augmentation est fonction des flexibilités relatives de l’ouvrage et du sol. la première est globalement proportionnelle à la hauteur de la structure tandis que celle du sol est proportionnelle à la taille de la fondation. En conséquence l’interaction sol-structure peut devenir prépondérante pour des ouvrages d’élancement limité fondés sur des sols de faibles propriétés.
L’augmentation de la dissipation d’énergie dans le système par rayonnement d’ondes dans le sol ou par frottement interne dans le sol est sans conteste le principal bénéfice de l’interaction sol-structure car elle réduira l’ampleur des résonances. Cette dissipation dépend du mouvement relatif de la fondation par rapport au mouvement d’entraînement, et donc du rapport entre les souplesses du sol et de la structure. La dissipation étant proportionnelle à la souplesse, plus l’interaction est importante, plus la dissipation augmente. La part due au rayonnement d’ondes dans le sol dépendant par ailleurs de la vitesse relative de la fondation. Ainsi, plus la fondation sera étendue, plus la vitesse des ondes et la période fondamentale seront faibles et plus l’amortissement augmentera.
Pour conclure sur l’interaction inertielle, il faut noter que si, dans la grande majorité des cas elle est bénéfique ou négligeable, il existe des cas pathologiques où elle a un effet néfaste en particulier pour une structure relativement légère reposant sur une fondation massive dont la période fondamentale est proche de celle de la structure légère ; le mouvement sismique subit alors deux amplifications successives.
Ouvrages d’exception
Du fait de leur masse et de la grande étendue des fondations, les ouvrages tels que les centrales de production d’électricité, les réservoirs de stockage, les barrages ou les ponts de grande envergure sont susceptibles d’interagir fortement avec le sol environnant. Par ailleurs, ces structures dont la sûreté est essentielle ne relèvent pas des règles usuelles de dimensionnement et des méthodes adaptées de justification au séisme doivent être mise en œuvre. Elles incluent des modélisations détaillées par éléments finis incluant une partie du sol environnant. La justification se fait alors en approchant numériquement la réponse dynamique de la structure pour plusieurs signaux sismiques imposés. Par ailleurs, une connaissance précise des propriétés des sols de fondation n’étant pas accessibles, plusieurs études sont menées en prenant en compte des valeurs extrémales pour les propriétés des matériaux. Pour chacune de ces études, il convient non seulement de vérifier la tenue de la structure mais également les niveaux de déformations obtenus dans le sol. Quand ces derniers sont élevés, une adaptation des valeurs de raideur et d’amortissement est nécessaire, la procédure étant itérée jusqu’à convergence. Ces méthodes de calcul ont été calibrées à partir d’expériences menées sur des maquettes construites dans des régions fortement sismiques (cf. Figure 2).
Interaction entre structures et effet ville
Lorsque les ondes rayonnées dans le sol par un bâtiment deviennent importantes, des interactions entre structures peuvent apparaître. Localement, la vibration d’un ouvrage sur sa fondation peut induire un surcroît de chargement pour les structures environnantes, particulièrement dommageable lorsque ces dernières sont de plus petite taille. À une échelle plus globale et pour des zones fortement urbanisées, c’est l’ensemble des ouvrages qui est mis en vibration de façon cohérente ou incohérente. On parle alors d’effet ville. Cet effet est encore assez mal connu car peu de données expérimentales permettent de quantifier son importance. Des travaux récents semblent indiquer que des amplifications apparaissent ponctuellement ainsi que des augmentations de la durée des signaux sismiques (cf. Figure 3). Toutefois des analyses menées sur des quartiers de villes de Mexico ou de Nice montrent que ces effets sont globalement plutôt bénéfiques puisque l’amplification due à la résonance du site géologique a tendance à être réduite en présence de bâtiments. De plus, la présence de bâtiments empêche la propagation des ondes de surface, réduisant ainsi le mouvement sismique dans des zones fortement urbanisées.
Bibliographie
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